Robert Misrahi, né le à Paris et mort le à Saint-Cyr-du-Vaudreuil,, est un philosophe français.

Spécialiste de Spinoza, il consacre son travail à la liberté et au bonheur. Professeur émérite de philosophie de l'éthique à l'Université Panthéon-Sorbonne (Université de Paris I Sorbonne), il a publié de nombreux ouvrages sur Spinoza et consacré l'essentiel de son travail à la question du bonheur. Il a publié plusieurs articles dans l'encyclopédie Encyclopædia Universalis, Le Dictionnaire des philosophies « PUF », dans la revue Les Temps modernes et aussi dans la presse Libération, Charlie Hebdo et le Nouvel observateur.

Biographie

Robert Misrahi naît à Paris le de parents juifs turcs. Il obtient la nationalité française à l'âge de dix ans.

Dès la publication de l'ouvrage en 1943, il lit L'Être et le Néant et enthousiasmé par la doctrine de la liberté, rencontre son auteur, Jean-Paul Sartre. Ayant révélé à Jean-Paul Sartre qu'étant juif en pleine Seconde Guerre mondiale, il n'avait pu poursuivre d'études supérieures, ce dernier l'aida à financer ses études de philosophie. Ils travailleront ensemble jusqu'à la mort de Sartre.

En 1947, durant le conflit pour la création d'Israël, il participe à des activités anti-britanniques avec le groupe terroriste Lehi (également appelé « groupe Stern »). Le , il dépose une bombe qui détruit le Colonial Club, un cercle militaire à Londres, faisant plusieurs blessés. En mai, il est arrêté en France pour détention d'explosif avec quatre autres jeunes activistes. Incarcéré à la prison de la Santé, il écrit alors un de ses premiers articles (Antisémitisme à la Santé) publié en décembre dans la revue Les Temps Modernes. Sartre vient témoigner en sa faveur lors du procès en février 1948. N'étant pas soupçonné de l'attentat du 7 mars, il est seulement condamné à 1200 francs d'amende, le juge estimant que « l'État juif a été reconnu par l'O.N.U. et que les sujets de l'État juif ont le droit de défendre ses frontières morales et terrestres ».

En 1950, il obtient l'agrégation de philosophie.

Il enseigne d'abord en lycée en province (Cannes, Nevers, Bourges, Vanves) et au lycée Louis-le-Grand à Paris,. Durant les années 1965-67, à la Sorbonne, il est maître assistant puis titulaire de la chaire de philosophie morale et politique (dont le « patron » est Vladimir Jankélévitch) et ce, jusqu'en 1994,. Il lui demande de diriger sa thèse de doctorat ayant pour titre Lumière, Commencement, Liberté.

Parallèlement à son enseignement, il développe sa propre philosophie, l'exprimant au fur et à mesure dans ses publications. Il traite d'abord la question de son identité de juif athée, français et laïque, dans une série d'ouvrages aux analyses très riches qui passeront pourtant inaperçus du grand public (La condition réflexive de l'homme juif, Marx et la question juive, La philosophie politique et l’État d’Israël).

Il consacre sa première thèse de doctorat à la question du désir et de la réflexion dans la philosophie de Spinoza (1969). Durant toute sa vie, il consacrera une part importante de son travail à l'étude de l'œuvre de Spinoza. Pour preuve, à plus de 85 ans, il publie une traduction de l'Éthique.

Influencé, d'une part, par la pensée subversive et eudémoniste du philosophe de l'Éthique, notamment par sa doctrine du désir et du salut, et d'autre part, par la pensée de Sartre, pour sa conception de la liberté ; il en tire une nouvelle philosophie du bonheur, un eudémonisme existentiel moderne. Pour Robert Misrahi, la question du bonheur n'est pas une question parmi d'autres, elle est la question fondamentale de l'existence, celle qui éclaire toutes les autres.

En , il déclenche une polémique en soutenant dans les colonnes de Charlie Hebdo, journal où il tenait alors une chronique, le livre très controversé de la journaliste italienne Oriana Fallaci, la Rage et l'Orgueil. Après que Philippe Val a proposé à Robert Misrahi de revenir sur ses propos, le journal prend ses distances avec le philosophe.

Après avoir traité du commencement et de la liberté (Lumière, commencement, liberté), il écrit un traité du bonheur. Dans le premier volume intitulé Construction d'un château, Robert Misrahi ne livre pas des concepts ou des réflexions sur le bonheur, il nous montre à travers une métaphore architecturale, ce que peut être un parcours heureux. Dans le second volume, intitulé Éthique, politique et bonheur, changeant complètement de mode expressif, il critique les fausses contradictions de notre temps. Les oppositions, entre désir et institution, et entre principe de plaisir et principe de réalité, sont dépassées par une éthique de la joie fondée sur les propres forces de l'individu, conçu comme désir et comme réflexion. Sa philosophie est une éthique, c'est-à-dire qu'elle est entièrement destinée à la conduite de l'existence. Ne se limitant pas à ce déploiement théorique du deuxième volume, il consacre le troisième volume Les actes de la joie (sous-titré poétique de la liberté heureuse) à décrire dans une langue originale, aussi poétique que philosophique, les contenus de la vie heureuse. Pour Misrahi, le bonheur n'est ni une situation sociale, ni un état d'esprit mais un ensemble d'actes qui par leur déploiement confèrent la joie, par l'autonomie, la réciprocité et la jouissance ; il s'agit de « fonder, aimer et agir ». Il poursuit sa recherche sur le bonheur, le « préférable absolu », en déployant les conséquences politiques (Existence et démocratie) et anthropologiques (La Jouissance d'être) de sa doctrine. En 2008, il reprend l'ensemble de son parcours dans une synthèse intitulée Le travail de la liberté.

Une fois surmonté le chagrin de la disparition (en 2009) de sa femme, la psychanalyste lacanienne Colette Misrahi, il reprend la plume pour rédiger son autobiographie, La nacre et le rocher, parue en 2012 et désignée comme meilleure autobiographie de l'année par le magazine Lire.

Un colloque intitulé « Pour une éthique de la joie » lui a été consacré, à Cerisy-la-Salle, en .

Il participe à l'Université populaire de Caen (crée en 2002 par Michel Onfray) avec un séminaire de philosophie pour la saison 2012-2013.

Robert Misrahi, toujours actif en dépit de son âge, continue son parcours, fidèle à lui-même, diffusant inlassablement une philosophie en rupture avec les déterminismes modernes (économie, inconscient notamment), qui contraste avec tous les courants de pensée de son temps (marxisme, structuralisme, psychanalyse...), et le tragique qu'ils induisent[réf. nécessaire].

Robert Misrahi décède le au Vaudreuil à l'âge de 97 ans.

Une philosophie du bonheur par la joie

Robert Misrahi propose une philosophie du bonheur par la joie et l'action, sans déterminisme : libre et responsable grâce à la réflexion, l'être humain a la capacité de faire des choix pour construire son bonheur. Robert Misrahi fait la différence entre une liberté spontanée, et un second niveau de liberté qui est intérieure, réfléchie et consciente[réf. nécessaire]  

Au sujet du bonheur, il délaisse le courant pessimiste des philosophies du renoncement, du bonheur différé et celles du plaisir-péché ou plaisir-vice : Platon, Kant, Heidegger, Schopenhauer, Nietzsche, Sartre, sans les rejeter totalement. Il préfère, sans totalement les encenser, le courant positif : Aristote affiné par l'épicurisme, Spinoza, Thomas More.

Le philosophe a principalement abordé l'anthropologie, l'éthique, la politique ainsi que la relation à autrui. Ces aspects de la philosophie sont dans son œuvre profondément liés. L'essentiel de sa philosophie peut se résumer ainsi : « Liberté, Réciprocité (ou responsabilité), Joie ».

La philosophie de Misrahi

Les cinq clefs

Véronique Verdier a proposé quelques éléments pour présenter l'œuvre de Robert Misrahi, philosophe du bonheur.

La crise : un concept inaugural, un concept transversal

Pour Robert Misrahi au commencement est la crise ; tant pour les particuliers que pour les groupes humains, institutions, etc. Et ce, quel qu'en soit son type : crise personnelle, problème économique, accident, situation politique... La crise surgit comme l'éclatement d'un contradiction entre une situation acquise et une exigence existentielle, intellectuelle ou politique considérée comme un « préférable ». Crise qui laisse apparaître des affects associés à l'insatisfaction, au doute, à l'inquiétude, au désespoir, etc. L'analyse consciencieuse qui fait suite à l'atteinte de la limite du tolérable oblige à une prise de position qui est une révolte. Pour être efficient, ce qui est premier et actif pour Misrahi c'est le vif désir de sortir de la crise.

Concept transversal car la crise indique sa présence dans tous les cheminements existentiels : parcours individuel, saga familiale, schéma des organisations et des institutions, histoire des idées, histoire politique.

L’œuvre

Maurice Barbot et Marc Haffen ont recensé toute l’œuvre de Robert Misrahi. La bibliographie complète est donnée en annexe de l'ouvrage Le travail de la liberté.

Chronologie des publications de l’œuvre

Articles et participation

  • Texte traduit, présenté et annoté par R. Caillois, M. Francès et R. Misrahi, Notice introductive à la Correspondance de Spinoza : Œuvres complètes de Spinoza, Gallimard, coll. « La Pléiade », .
  • « La coexistence ou la guerre », Les Temps modernes, no Le Conflit israélo-arabe,‎ (lire en ligne, consulté le )
  • « L'antisémitisme latent », Racisme et société,‎ Maspero,
  • Roger-Pol Droit, Présences de Schopenhauer, Grasset, , 332 p. (ISBN 978-2-246-41451-3), Critique de la théorie de la souffrance dans l'ontologie de Schopenhauer
  • « Pour une phénoménologie existentielle intégrale », Les Temps modernes, vol. Questions à l'œuvre de Sartre,‎
  • Roland Caillois, Madeleine Francès et Robert Misrahi, Baruch Spinoza : Œuvres complètes, Gallimard, , 1.576 (ISBN 978-2-07-010530-4).
  • « Du bonheur, entretien avec Belinda Cannone », Esprit,‎ .
  • Ruth Scheps, La fabrication de la mort : De la mort et de l'attachement à la vie, les Empêcheurs de penser en rond, (ISBN 978-2-84324-028-7). Interviews diffusées sur France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/les-chemins-de-la-connaissance-la-fabrication-de-la-mort-le-0.
  • Renée Bouveresse, Métaphysique, Ellipses, , « La Métaphysique de Spinoza »
  • Christian Delacampagne et Robert Maggiori, Philosopher, t. 2, Fayard, 1980,2000, 542 p. (ISBN 978-2-213-60641-5), « Le Bonheur », signification, difficultés et voies d'accès
  • Marie de Solemne, Julia Kristeva, Sylvie Germain, Robert Misrahi, Rimpoche Dagpo, Entre désir et renoncement, Albin Michel, , 168 p. (ISBN 978-2-226-14909-1), Le libre désir » par Misrahi.
  • Armen Tarpinian, Le chant de l'ombre, Rennes, La part commune, . Préface et postface.
  • Véronique Verdier, Robert Misrahi : L'Existence comme itinéraire, Lormont, Le Bord de l'eau, , 173 p. (ISBN 978-2-35687-180-0). Entretiens biographiques.
  • « A propos de La lune d’hiver-Liberté », Peut-être, no 4,‎ (lire en ligne, consulté le )

Réception et critiques

Dans sa Contre histoire de la philosophie, volume 26, Michel Onfray évoque l’œuvre et l'existentialisme de Robert Misrahi. Il construit son intervention à partir de l'autobiographie de Misrahi La nacre et le rocher et, en ce qui concerne la pensée, à partir de la trilogie Traité du bonheur : tome 1 La construction d'un château, tome 2 Éthique, politique et bonheur, et Les actes de la joie en tome 3. La critique par Michel Onfray de la philosophie de Robert Misrahi est condensée dans le rapport entre la vie et l’œuvre de Misrahi (les écarts entre "ce que je dis" dans les cours et dans les livres et "ce que je fais" personnellement dans la vie), les postulats ("l'être humain est libre" par exemple) et les positionnements de Misrahi dans le conflit israélo-palestinien notamment. Michel Onfray a aussi évoqué ses convergences et ses divergences avec la pensée de Misrahi à la suite d'une question qui lui a été posée. C'est l'occasion pour Onfray d'analyser le style quelquefois ampoulé de Misrahi à partir de la méthode phénoménologique que ce dernier utilise et dont il revendique les vertus.

Notes et références

  • Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « Médiathèque de Robert Misrahi » (voir la liste des auteurs).

Notes

Références

Voir aussi

Bibliographie

Ouvrages utilisés pour la création de la structure de l'article :

  • Véronique Verdier, Robert Misrahi, l'existence comme itinéraire, Paris, Le Bord de l'eau, , 173 p. (ISBN 978-2-35687-180-0).
  • Robert Misrahi, Spinoza, Paris, Médicis-Entrelacs, .}
  • Robert Misrahi, La nacre et le rocher, Paris, Belles Lettres, coll. « Encre marine », , 286 p. (ISBN 978-2-35088-058-7). Autobiographie.
  • Robert Misrahi, Le travail de la liberté, Paris, Le bord de l'eau, coll. « Nouveaux classiques », , 295 p. (ISBN 978-2-35687-011-7)
Bibliographie complémentaire
  • Fabrice Guého, « Le Traité du Bonheur de Robert Misrahi », Cahiers philosophiques CNDP, no 25,‎ , p. 61.
  • « Encyclopædia Universalis », Universalia, vol. 1985 p. 508-509.,‎ , Robert Misrahi.
  • Catherine Lanfranchi, Robert Misrahi, une philosophie du bonheur, L'Harmattan éd., 2022
  • Fabrice Guého, La Politique du bonheur de Robert Misrahi, L'Harmattan éd., août 2023.

Filmographie

  • Sur un scénario de Robert Misrahi et Nicolas Martin, Dominique-Emmanuel Blanchard a réalisé un film de 98 min intitulé La Construction du bonheur. Le film sur DVD est vendu avec le livre éponyme.
  • « Le bonheur d'une initiation au bonheur », un film de 52 min réalisé par Virginie Gaudin avec Robert Misrahi.

Émission radio

  • Le bonheur à portée de main avec Robert Misrahi, sur Radio France. [1]

Articles connexes

  • Bien-être
  • Bonheur
  • Michel Onfray

Liens externes

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Robert Misrahi (auteur de Spinoza) Babelio

Robert Misrahi (auteur de Spinoza) Babelio

Photos de Robert Misrahi

La Nacre et le rocher une autobiographie de Robert Misrahi épisode

Robert Misrahi Alchetron, The Free Social Encyclopedia